L’histoire sociale de l’époque moderne, allant du XVIe siècle jusqu’aux premières décennies du XIXe siècle, a constamment su se renouveler depuis l’école labroussienne, et les premières grandes thèses consacrées à l’analyse des structures sociales des villes et des campagnes. L’étude des différents groupes sociaux qui composaient la société d’Ancien Régime, la noblesse, la bourgeoisie, le monde émergent des professions libérales, les artisans, la paysannerie ou la domesticité, a permis d’approfondir la connaissance des dynamiques complexes qui la parcouraient. Au cours des années 1990, les effets de la critique du paradigme marxiste et du recul de l’histoire quantitative se sont alliés à la montée en puissance des problématiques liées à la question des mobilités et à l’étude des identités pour amener les chercheurs à s’intéresser davantage aux parcours des acteurs sociaux. Cet intérêt croissant pour les trajectoires des individus a alors permis aux historiens, comme, d’ailleurs, aux spécialistes des autres sciences sociales (), d’observer des différences nettes de comportements sociaux entre des personnes ayant des caractéristiques socioéconomiques ou socioculturelles proches. Or, l’idée avait jusque-là prévalu chez les chercheurs, qui considéraient que la description des catégories sociales et de leur hiérarchisation était l’essentiel de leur travail (), que les individus appartenant à un même groupe social devaient avoir des comportements approchants qu’ils incorporaient puis qu’ils reproduisaient. Le groupe social a d’abord été essentiellement défini par des variables de nature socioéconomique, comme, par exemple, les niveaux de fortune ou les métiers, ou encore de nature socioculturelle, comme la religion. Les différences entre les trajectoires sociales d’individus ou de familles s’expliquaient alors par une forme d’inférence a posteriori consistant à en rapporter l’existence à une visée consciente, et à long terme, souvent qualifiée de «stratégie». La plupart des études sur la mobilité sociale ascendante dans la France d’Ancien Régime tendait donc à l’analyser à partir de son point d’arrivée ce qui créait un effet de justification téléologique, minimisait la place des échecs, ou encore invisibilisait les familles qui n’avaient pas de comportements ascendants.
La mise en évidence de ces différences de comportement entre des personnes et des familles partageant les mêmes positionnements sociaux pourrait être une preuve supplémentaire du grand mouvement d’autonomisation de l’individu qui aurait été à l’œuvre dans les sociétés occidentales depuis la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours et sur lequel ont insisté de nombreux sociologues, anthropologues, historiens ou philosophes. Ce paradigme a cependant été récemment remis en cause, en particulier en ce qui concerne l’histoire des XVIIIe et XIXe siècles. L’affirmation politique et juridique du citoyen, liée à la Révolution française, ou les bouleversements liés aux transformations socioéconomiques du XIXe siècle ne semblent pas, en particulier, s’être accompagnés d’une régression de la place et du rôle joué par la famille dans le destin des individus. S’il est indiscutable que la famille s’est progressivement imposée comme un objet d’étude spécifique ou comme une échelle pertinente d’analyse dans l’historiographie de la période moderne (; ), elle a cependant été moins abordée comme un facteur transformant des grandes dynamiques sociales ().
Nous aimerions donc développer ici une autre direction de recherche pour expliquer les différences de comportements entre des individus partageant les mêmes propriétés sociales en posant pour hypothèse qu’ils sont liés à l’élaboration, au sein des familles, d’une culture spécifique, nourrie des expériences partagées par un ensemble restreint d’individus, et qui est intériorisée, plus ou moins consciemment, et reproduite au fil des générations. Cette «culture familiale», transmise par l’observation des conduites de la génération précédente ou des collatéraux, ainsi que par l’éducation domestique, médiatise les normes et les modèles sociaux et rend, de ce fait, acceptables ou inacceptables pour les membres de la famille une gamme d’attitudes différenciées par rapport à celles d’autres familles. En retour, les conduites différenciées des familles comprises dans un ensemble social donné, par exemple à l’échelle du village, du quartier, du réseau social, dessinent une gamme large de comportements, qui composent un champ des possibles qui font évoluer à leur tour le dispositif social tout entier. Elles peuvent, par ailleurs, rapprocher des familles de niveaux sociaux ou d’appartenances culturelles très hétérogènes.
Le terme de famille ne renvoie pas ici pour nous seulement au ménage nucléaire, composé du père, de la mère et des enfants vivant sous le même toit, auquel elle a souvent été réduite dans les travaux concernant l’époque moderne (; ). Mais il ne désignera pas non plus, au sens large, l’ensemble de tous les parents unis par le sang, par l’alliance ou par un lien spirituel. L’histoire de la famille a, en effet, été longtemps divisée entre la tradition, issue de l’école de Cambridge, autour de Peter Laslett et de Richard Wall, centrée sur la question de la co-résidence, et une tradition d’étude des relations entre les apparentés, qu’ils soient ou non co-résidents, issue de l’anthropologie structurale. L’étude des cultures familiales, justement par l’importance qu’elle accorde à ce que la famille fait pour, par et à ses membres, cherche à ouvrir une troisième direction entre ces deux traditions majeures. Le terme de famille désignera donc ici une configuration pratique, active, et généralement reconnue comme telle par des acteurs sociaux, qui a une dimension mémorielle autant qu’une dimension concrète. Elle s’appuie sur un ensemble d’actions et d’éléments dont certains sont, depuis longtemps, sous le regard des chercheurs, comme les utilisations et les transmissions du nom ainsi que, pour certaines d’entre elles, des titres et des qualités honorifiques, ou encore de l’honneur et du crédit, qui forment un ensemble de «biens immatériels». Nous souhaitons, à présent, faire entrer dans le raisonnement la transmission entre les membres d’une même famille d’attitudes, de valeurs sociales, voire, simplement, d’un sens global de ce qui est possible ou acceptable de faire en matière de comportement social, et de ce qui ne l’est pas ().
La première partie de cet article sera consacrée à la manière dont les historiens peuvent mettre en évidence l’existence d’une médiatisation par la famille de certains choix sociaux fondamentaux, médiatisation qui peut s’étendre à des comportements démographiques. Nous examinerons, ensuite, l’usage qui a été fait par les sciences sociales de la notion de «culture familiale» qui, sans être un concept majeur, s’est tout de même frayée son chemin à travers plusieurs champs de recherche qui nous ont apporté des outils pour consolider notre démarche. Enfin, nous développerons, dans les troisième et quatrième parties, une étude de cas qui est centrée sur un des nombreux indicateurs possibles pour mettre en évidence l’existence de ces comportements propres à une famille particulière. Nous avons choisi, en effet, d’éprouver la pertinence de la notion de culture familiale à partir de l’analyse des modes de parrainage dans une ville du Nord de la France au XVIIIe siècle. Notre objectif ne sera pas de décrire dans toutes ces dimensions la pratique du parrainage dans le terrain choisi (Alfani et Gourdon, 2012). Il s’agira bien davantage de prouver que l’existence d’orientations particulières concernant le choix du parrain ou de la marraine au sein des familles ne peut être ramenée à des décisions purement conjoncturelles, ni à de grandes tendances générales liées à un groupe, par exemple de nature socioprofessionnelle, mais que le choix des familles joue un rôle important. Nous démontrerons alors la cohérence au sein des familles de ces choix que nous estimons constitutive d’une culture familiale ().
1. Familles et comportements sociaux aux XVIIIe et XIXe siècles
Les familles de l’époque moderne n’avaient guère de doutes sur leurs capacités à transmettre une vision spécifique des relations sociales, du rôle de la famille elle-même, et des valeurs qu’elles souhaitaient voir passer d’une génération à l’autre (; ; ). Il n’était ainsi pas rare que les testaments deviennent les dépositaires de la vision globale de l’avenir de sa famille que pouvait avoir le défunt ou la défunte (; ). Et les écrits personnels, quelle que soit la forme qu’ils empruntent, comme les mémoires, les diaires, les journaux, ou les autobiographies, fournissent un matériel abondant dans ce domaine (; ). L’auteur du livre de raison de la famille Sudre, commencé à Avignon vers 1680, est ainsi très clair dans ses intentions:
L’intérêt des familles veut qu’on tienne des livres de raison dans lesquels après avoir écrit sa généalogie, ses alliances, sa naissance, ses biens et leur inventaire, on ajoute quelques mémoires en forme de maximes, qui, fondées sur l’honnêteté, produisent aux héritiers des effets très profitables, pour le spirituel et pour le temporel ().
Un siècle plus tard, Louis Simon, le fameux étaminier du Maine étudié par Anne Fillon, rédige, lui aussi, en marge du célèbre et original récit de son histoire d’amour avec Anne Chapeau, devenue sa femme en 1767, de très traditionnels «Conseils à ses enfants», destinés à leur permettre de naviguer au mieux dans la société locale et dans l’espace public dans les temps troublés que la France traversait alors:
Etre toujours de bonne fois sans jamais manquer à sa parole. Etre toujours bon pere, bon fils, bon mari, bon ami, bon voisin, bon citoyen et bon patriote honnête en obéissant aux lois civiles sans murmures, ne jamais avoir de procés mais si vous ête forcé d’en avoir cherchés tous les moyens d’arangemens car il n’en est point de si mauvais quil ne valent mieux qu’un procès ().
L’écrit personnel, ou familial, avait donc de multiples objectifs, liés aux informations sociales et économiques qu’il contenait mais aussi aux règles de vie que son auteur, ou, plus rarement, son auteure, entendait transmettre. S’il est difficile de retracer les effets pratiques à long terme de ces préceptes paternels ou maternels, certains chercheurs se sont déjà demandé si les dynamiques propres aux familles pouvaient expliquer les différences dans les comportements démographiques ou dans les choix sociaux qui pouvaient être observées au sein des familles d’un même milieu social ou dans un même contexte géographique.
L’étude menée par Mathieu Marraud sur une parentèle de la bourgeoisie parisienne aux XVIe et XVIIIe siècles a ainsi mis en évidence l’existence et la perpétuation au fil des générations, de comportements originaux au sein d’ensembles familiaux larges (). Au sein de la vaste descendance d’un couple originel, qu’il a reconstituée de la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, l’historien démontre, en effet, que les membres d’une branche, les Judde-Marsollier, sont restés liés au fil des générations même si leurs activités professionnelles et même leurs niveaux socioéconomiques ont divergé. Ces relations sont observables, non seulement à travers des choix sociaux et relationnels, comme les témoignages croisés aux contrats de mariage ou la participation aux tutelles des enfants mineurs, mais aussi à travers les soutiens économiques apportés aux branches en difficulté. Et ces obligations familiales ne concernaient pas seulement les individus qui avaient été en connexion directe les uns avec les autres mais elles se sont transmises à leurs descendants parfois assez lointains. Pour le chercheur, l’entretien et la répétition de ces liens et de ces comportements au sein du groupe familial n’étaient donc pas simplement dus à «une harmonie générale» () mais bien à une capacité durable des chefs de cette famille, au fil des générations, à faire régner au sein de cette parentèle, un certain ordre interne autour de principes plus ou moins acceptés et de comportements communs afin d’organiser leur succession et la pérennité de leur commerce.
Le spécialiste des migrations, Paul-André Rosental, a lui aussi abordé cette question dans le cadre de son exploitation de l'enquête des 3.000 familles, devenue enquête TRA, lancée au début des années 1980 par le Laboratoire de Démographie Historique, et longtemps dirigée par Jacques Dupâquier (; ; ). Son travail sur un corpus de 97 lignées, issues de douze départements, dont il reconstruit la généalogie descendante sur le long XIXe siècle, l’a amené à conclure que la position socioéconomique des familles ne suffisait pas à expliquer leur rapport à la migration. Il a alors construit une variable spécifiquement consacrée à la famille en mobilisant deux critères: les témoins du mariage civil et les alliances matrimoniales dans la parenté (déterminées par les noms de famille des participants). Il en a tiré un indicateur d’orientation de la famille vers l’extérieur ou vers l’intérieur. Une famille se concentre sur elle-même («autocentrée») quand elle choisit la majorité des témoins du mariage en elle-même, ou dans un réservoir partagé, et quand le choix du conjoint est également fait dans la parenté. Si ce n’est pas le cas, la famille est dite orientée vers l’extérieur («exocentrée») et elle se caractérise par l’utilisation de multiples groupes de référence (familial; professionnel…) pour les grands choix sociaux. Paul-André Rosental montre alors qu’au sein d’un ensemble de familles au statut social égal, les migrations impliquaient principalement celles orientées vers l’extérieur. Il observe également que, plus la fécondité de ces familles était élevée, plus les migrations à grande distance étaient fréquentes. Pour les familles autocentrées, le nombre et l’intensité des liens familiaux contribuaient, au contraire, à les maintenir dans leur lieu d’origine. Paul-André Rosental en déduit donc que la différenciation de la relation à la migration passe par l’orientation de la famille —sa dynamique— et non par le seul niveau socio-économique. Cette recherche a ouvert la voie au dépassement de la simple lecture de trajectoires en définissant des variables qui permettent d’isoler le rôle de la famille, de l’intégrer dans une modélisation statistique économétrique et, enfin, d’en dégager l’impact propre sur le phénomène historique étudié ().
Au cours de son enquête sur la circulation des valeurs politiques au sein des familles de vallées alpines, l’historien suisse Sandro Guzzi-Heeb s’est, quant à lui, intéressé à la question du mariage au sein de la parenté dont la progression a été présentée comme une des principales évolutions des comportements démographiques en Europe à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle (; , , ). En reconstituant les familles de plusieurs villages, il observe que la tendance à épouser des cousins, si elle a bien augmenté au cours de la période étudiée, n’a pourtant pas été partagée par l’ensemble des familles observées (, , ). Elle est, au contraire, l’apanage d’une poignée de ces familles, qui regroupe presque l’ensemble des mariages entre cousins. Dans le village de Bovernier entre 1820 et 1900, par exemple, les trois-quarts des mariages au sein de la parenté sont réalisés au sein de douze des trente-deux branches familiales reconstituées tandis que, dans le village de Liddes, une proportion légèrement supérieure a été conclue au sein de seulement vingt-cinq des 112 branches familiales observées. Les mariages entre cousins ne surviennent donc pas dans l’ensemble de la société villageoise de l’Entremont mais ils se concentrent dans certaines familles dont Sandro Guzzi-Heeb démontre qu’elles ont également un taux élevé de naissances illégitimes et qu’elles partagent souvent des positions politiques radicales. Aline Johner a, quant à elle, étudié des familles du canton de Vaud entre la fin du XVIIIe siècle et 1848 présentant un rapport particulier à la sexualité de leurs membres: elle considère le grand nombre de naissances illégitimes en leur sein comme une «conséquence d’une culture familiale plus tolérante envers la sexualité hors mariage, et pas seulement comme le résultat de facteurs économiques ou sociaux» (). Les exemples étudiés ici ont en commun de s’appuyer sur un des grands choix sociaux qui étaient accessibles aux populations des époques moderne et contemporaine: le choix du conjoint; et le choix des témoins de l’acte ou du contrat de mariage. S’appuyant sur des reconstitutions systématiques de la population du sud de la Romagne entre les XVe et XIXe siècles et l’étude statistique et informatique de leurs pratiques matrimoniales (plus de 10.000 mariages), Michaël Gasperoni remet, enfin, en cause l’hypothèse d’une hausse significative des mariages dans la parenté proche à la fin du XVIIIe siècle. Rappelant la nécessité d’alterner les approches macros et micros et de replacer l’étude des mariages consanguins dans leur contexte local, il remarque, néanmoins, à son tour, qu’il existe un petit nombre de familles qui entretiennent des stratégies matrimoniales endogames et concentrent donc les demandes de dispenses matrimoniales sur plusieurs générations, en alternant parfois ces pratiques avec des redoublements d’alliances et des mariages exogames (). Les historiens ont donc déjà pu mettre en évidence les comportements idiosyncrasiques de certaines familles ou parentèles au sein de groupes plus ou moins homogènes socialement.
2. La notion de culture familiale en sciences sociales
Le fait que la famille soit un des lieux de socialisation primaire des individus, avec le groupe des pairs et les institutions, en particulier l’école, est un acquis de longue date des sciences sociales (), malgré les limites que lui avait initialement assignées Émile Durkheim (). Sans employer le terme de culture familiale, Maurice Halbwachs a ainsi reconnu l’existence, à côté des règles communes à toute la société, de «coutumes et façons de penser propres à chaque famille, et qui imposent également, et même plus expressément encore, leur forme aux opinions et sentiments de leurs membres» (; ; ). La sociologie de la famille a donc cherché à étudier le rôle, la nature, la force de ces «coutumes et façons» propres aux familles et surtout aux transmissions, explicites ou implicites (), dont elles sont l’objet. Le sociologue américain Reuben Hill a été un des premiers, dans les années 1950, à utiliser le concept de «culture» en l’appliquant à l'échelle de la famille, en particulier dans ses recherches sur la population de Porto-Rico entre 1900 et 1950 (). Son objectif était de mesurer les évolutions des pratiques et des valeurs familiales, désignées explicitement comme «culture familiale», sur trois générations au sein d’un échantillon varié d’environ 2.500 familles (ici comprises au sens de lignées familiales), venant de cinq communautés de milieux ruraux et urbains sur l’île de Porto Rico, dans un contexte d’urbanisation et de développement économique. Reuben Hill comprenait donc le fonctionnement des familles comme des micro-cultures évoluant avec la culture de la société et avec le contexte socio-économique, mais sans en adopter mécaniquement et intégralement la temporalité et les mutations normatives ().
La tradition sociologique francophone a rarement été si précise dans l’emploi de la notion de «culture familiale». En étudiant l’entraide familiale à travers la prise en charge des personnes âgées, Claudine Attias-Donfut et Rémi Gallou évoquent ainsi les «cultures familiales et les normes à l’égard des parents âgés des migrants, selon leur pays d’origine», qu’ils mettent en perspective avec «la culture française, et notamment avec l’État providence» (). Dans une analyse du pouvoir conjugal, Josette Coenen-Huther dégage, quant à elle, quatre idéaux-types de couples —les couples «tradition»; les couples «bastions»; les couples «compagnonnage»; et les couples «association»— qu’elle lie à quatre «sous-cultures intrafamiliales ». Ces sous-cultures» sont présentées comme «un ensemble de traits (vision du monde, conception de la famille, valeurs principales et modes de comportements) qui font système et sont organisés autour d’une logique centrale» (). Dans les deux cas, la notion de «culture familiale» renvoie donc à l’idée d’une famille porteuse d’une culture sociale normée extérieure à elle-même, qui n’est spécifique que par comparaison avec les autres cultures sociales de la famille existant au même moment dans la société globale de référence. Enfin, dans leur ouvrage bien connu sur Le nouvel esprit de famille, qui déploie une enquête sur trois générations lancée par la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse dans les années 1990, Claudine Attias-Donfut, Nicole Lapierre et Martine Segalen jouent sur une multiplicité d’expressions tournant autour de ce qu’elles appellent un «objet sociologique non identifié» (). Le terme de «cultures familiales» est utilisé à plusieurs reprises (), comme celui de «cultures maison» (). Les trois chercheuses emploient aussi la notion de «styles familiaux», qui sont «fortement imprégnés des cultures régionales, nationales, du milieu social, tout comme le sont les normes de solidarités dans chaque famille» (), ou encore celle de «styles de famille» (). Elles évoquent enfin une «‘soupe’ familiale», «composée d’ingrédients puisés dans la culture et l’histoire familiale, réinterprétés et cuisinés dans la mémoire du groupe et prêts à être consommés individuellement» (). La métaphore culinaire s’impose par la force de son expressivité tout en indiquant la relative imprécision du concept.
Il est pourtant des domaines des sciences sociales dans lesquels le rôle spécifique de la famille dans les dynamiques sociales a été davantage scruté. C’est le cas de la formation des opinions politiques des enfants. Alors que son livre, pionnier pour la France, L’Univers politique des enfants, paru en 1974, évoquait relativement peu la famille, Annick Percheron conclut, dès 1975, à son importance cruciale au sein du «contexte» ou de l’«environnement», c’est-à-dire le «cadre collectif dans lequel s’organisent et s’expriment les opinions et les attitudes individuelles». Composé de «la famille, de l’école, des media, des camarades…», le «contexte» s’oppose au «groupe social, [au] lieu de résidence ou d’autres données d’ordre individuel de ce type» (; ; ). Annick Percheron a développé ultérieurement la notion d’«univers familiaux» (). Cette vision a été récemment discutée sous plusieurs angles. Au fil des décennies, la transmission verticale des opinions politiques a, d’abord, tendue à être minorée par rapport à la centralité du lien conjugal (). Et il est apparu ensuite que la capacité à transmettre une opinion politique, loin d’être universelle, est, en elle-même, la caractéristique d’une certaine culture familiale ().
Cette question a également traversé, à plusieurs reprises, la réflexion de Pierre Bourdieu. Pour décrire les pratiques des agents sociaux, ce dernier pense, en effet, une détermination préalable des actions —qui sont en apparence, et en apparence seulement, conscientes et rationnelles— de l’individu, non pas par une règle expresse, mais par un ensemble de dispositions que l’individu a intégré à un moment ou à un autre de son existence. Ces dispositions forment l’habitus, qui est l’ensemble des schèmes qui permettent à l’individu «de produire des pensées et des pratiques sensées et réglées sans intention de sens et sans obéissance consciente à des règles explicitement posées comme telles» (). Et Pierre Bourdieu a bien identifié la famille comme un des lieux centraux où s’opérait l’incorporation de ces schèmes, mais la singularité de cette dernière s’efface, dans la plupart de ses travaux, devant la force de la condition sociale, comme l’illustre son analyse de la carrière scolaire dans La Reproduction . Dans Les Héritiers, avec Jean-Claude Passeron, il précise pourtant que «l’influence des facteurs sociaux de différenciation s’exerce en milieu étudiant, mais sans emprunter les voies d’un déterminisme mécanique. Il faut par exemple se garder de croire que le patrimoine culturel favorise automatiquement et pareillement tous ceux qui le reçoivent» (). Il a, cependant, choisi, comme l’indique le conditionnel de la citation suivante, de ne pas poursuivre dans cette voie:
Il serait facile de montrer de la même façon que si les sujets des classes défavorisées ont les plus fortes chances de se laisser écraser par la force du destin social, ils peuvent aussi, par exception, trouver dans l’excès de leur désavantage la provocation à le surmonter […]. Il faudrait étudier plus précisément les causes ou les raisons qui déterminent ces destins d’exception mais tout permet de penser qu’on les trouverait dans des singularités du milieu familial ().
Loin d’être un simple transmetteur d’un habitus de classe, la famille lui semble donc pouvoir s’immiscer dans les processus d’incorporation et jouer un rôle à l’articulation entre le collectif et un singulier qui se décline à plusieurs échelles (; ).
À sa suite, une longue série de travaux sur l’éducation et sur la réussite, ou l’échec, scolaire et professionnel ont pu mettre en avant cette capacité de certaines familles à produire, pour tout ou partie de leurs membres, des destins différents de ceux que leurs conditions de classe laissaient envisager, qu’elles relèvent de milieux défavorisés, ou, au contraire, de milieux favorisés (; ), ou qu’elles soient issues de l’immigration (; ). Dans Tableaux de famille, qui porte sur la réussite scolaire dans les familles populaires, Bernard Lahire réfléchit ainsi longuement sur ce problème. Il s’appuie sur l’étude des trajectoires scolaires de vingt-sept enfants au sein de vingt-six familles défavorisées qu’il observe sous l’angle des formes familiales de la culture écrite; de leurs conditions et dispositions économiques; de l’ordre moral domestique; des formes d’exercice de l’autorité familiale; et, enfin, des modes familiaux d’investissement pédagogique (). Il conclut en attribuant bien un rôle clef dans l’appropriation du capital culturel, ou dans la compensation de son absence, aux «configurations familiales» observées, ce qui légitime l’analyse approfondie de ce niveau d’interactions sociales (; ).
L’étude de la capacité de familles dotées de mêmes propriétés sociales à médiatiser les normes sociales, à produire une culture propre, et à l’utiliser pour adopter des comportements originaux et transmissibles, reste donc un champ très ouvert dans les sciences sociales actuelles. Le processus a cependant été appréhendé d’une manière éclatée ce dont témoigne la diversité des notions utilisées: «contexte familial», «attitude familiale» () «coutumes familiales», «traditions familiales», «esprit de famille» (), «idéologie familiale». Malgré leur relative indétermination, ces études dessinent des voies d’analyse pour l’historien ainsi que des méthodologies d’enquête, dont il convient cependant de se demander si elles sont reproductibles pour les sociétés du passé.
3. La construction d’un indicateur autour du parrainage à Charleville au XVIIIe siècle
La deuxième partie a donc montré que le rôle précis de la famille dans la formation de comportements idiosyncrasiques a déjà fait l’objet d’analyses en ce qui concerne les sociétés contemporaines. La science politique ou la sociologie de l’éducation, en particulier, fournissent des outils pour penser les cultures familiales et pour observer la manière dont elles se mettent en place, se transmettent et ont des effets sur les individus et sur les générations ultérieures. Mais, à la différence des spécialistes de sciences sociales, les historiens ne peuvent mener d’entretiens, libres ou semi-dirigés, avec les acteurs sociaux dont ils voudraient étudier le comportement, même si les écrits personnels, évoqués plus haut, pourraient fournir un matériel analysable en ce sens. Nous avons donc choisi d’appuyer notre raisonnement sur la recherche d’indicateurs sociodémographiques suivant la méthodologie utilisée, par exemple, par Paul-André Rosental. Nous allons ainsi observer la fréquence des choix de parrains ou de marraines à l’intérieur ou à l’extérieur de la parenté dans la ville de Charleville aux XVIIIe et XIXe siècles pour voir si les familles d’un niveau socioéconomique proche ont, ou non, des comportements différenciés dans ce domaine. Ce premier indicateur pourra, à des stades ultérieurs de l’enquête, être confrontés à d’autres comportements démographiques, comme, par exemple, l’âge au premier mariage des femmes ou des hommes, le taux de grossesse prénuptiale ou le taux de naissance illégitime (, , ; ; ).
Le terrain de l’enquête est Charleville, une ville neuve fondée dans les années 1600 et 1610 par Charles de Gonzague, alors duc de Nevers, sur un territoire qui lui appartenait aux confins du royaume de France et des Pays-Bas Espagnols. La ville est restée gouvernée par la famille des Gonzague jusqu’à la mort du dernier duc de Mantoue, Charles Ferdinand, en 1708, puis elle a été fermement intégrée au sein du royaume de France dans l’influence duquel elle gravitait depuis l’avènement de Louis XIV. Charleville a connu un lent essor démographique passant d’environ 4.000 habitants à la fin du XVIIe siècle à 8.000 à la veille de la Révolution, puis à 10.000 dans les années 1860 (). La répartition socioprofessionnelle des chefs de ménage de la ville, en 1790, montre bien les piliers de l’activité économique de cette ville sans fonction administrative importante. Le commerce, en particulier celui des grains, est particulièrement bien servi par la position de la ville sur la Meuse et par ses multiples liens aussi bien avec Paris qu’avec les villes des Pays-Bas Espagnols, puis Autrichiens. Depuis son origine, elle abrite également une vigoureuse activité métallurgique, symbolisée par la manufacture d’armes de Charleville mais aussi par la présence de nombreux cloutiers dans ses murs. Enfin, la ville, fondée à proximité de la protestante Sedan, a toujours été marquée par un intense catholicisme, nourri par les nombreuses congrégations qui s’y sont installées au cours du XVIIe siècle.
Depuis une vingtaine d’années, l’historiographie s’est de plus en plus intéressée au choix des parrains au prisme de l’histoire de la famille (, ; ;; ). La tendance générale pour l’ensemble de la période moderne, en France, est une augmentation nette du nombre de parrains et de marraines «homonymiques» (c’est-à-dire portant le nom du père ou de la mère du filleul), signe d’un choix dans la parenté, mouvement qui a été observé par exemple à Bouafles, en Normandie (), en Provence () ou encore à Aubervilliers, près de Paris (, ). Cette hausse du parrainage homonymique peut être replacée dans un mouvement de «familialisation» des relations sociales (; ; ), en particulier celles liées aux grands événements de la vie (; ). Les raisons qui peuvent pousser à choisir des parrains dans la famille sont multiples: à l’évidence, renforcer les liens familiaux (par exemple, entre germains ou collatéraux), mais aussi, parfois, transmettre des prénoms familiaux, puisque les enfants français, surtout sous l’Ancien Régime, prenaient massivement ceux de leurs parents spirituels de même sexe. Il peut s’agir également de marquer une reconnaissance hiérarchique et symbolique envers un membre de la famille considéré comme une figure éminente de celle-ci (un grand-père par exemple). Il peut enfin être interprété dans certains cas comme un repli sur la famille. De la même manière, sortir d'un choix familial peut obéir à des motivations variées: marquer rituellement une amitié, renforcer une solidarité professionnelle, attacher à son enfant ou à soi-même la protection d'une personne de statut social élevé ou disposant d'une ressource économique, sociale ou politique mobilisable. Il peut s’agir d’un choix quelque peu forcé, pour les couples qui n’ont guère de famille là où ils vivent, par exemple à la suite d’une migration ou après la mort brutale de nombreux parents notamment lors de crises démographiques, comme celles qui touchent Charleville en 1740-1741, voire en 1813-1814. Au cours du XIX. siècle, l’extension des délais de baptême facilitent néanmoins la sollicitation de personnes géographiquement éloignés, et en particulier de membres de la parenté vivant à distance de Charleville, ce qui explique pour partie la croissance du parrainage familial.
Nous allons donc analyser l’évolution des pratiques de parrainage des familles de Charleville non comme une addition à l’historiographie croissante du baptême et du parrainage mais plutôt comme un banc d’essai pour la notion de culture familiale telle que nous l’avons définie dans les deux premières parties de cet article. Le parrainage catholique se caractérisait à Charleville par le choix d’un parrain et d’une marraine pour chaque baptisé, selon le modèle classique en France depuis le XVIIe siècle, avec une prédilection locale pour le choix d'un couple marié. À partir de là, nous allons chercher à voir, d’abord, si les familles carolopolitaines se sont inscrites, ou non, dans le mouvement de hausse du parrainage au sein de la parenté repéré pour la France des XVIIIe et XIXe siècles, et, ensuite, si des différences d’orientation à l’intérieur ou à l’extérieur de la parenté peuvent être observées dans les pratiques de parrainage entre des familles de niveaux socioéconomiques proches. Cette étude mobilise plusieurs sources carolopolitaines: les registres paroissiaux, c’est-à-dire les actes de baptême, mariage et sépulture, qui servaient d’état-civil aux catholiques sous l’Ancien Régime pour l’unique paroisse de la ville, Saint-Rémi; puis les registres de catholicité, dans lesquels étaient enregistrés les baptêmes au XIXe siècle de cette même paroisse. Nous avons également utilisé les dénombrements annuels des habitants réalisés par les autorités municipales au cours du XVIIIe siècle, suivis par les recensements annuels de population au XIXe siècle (; ). Nous avons d’abord reconstitué les pratiques générales de parrainage à Charleville aux XVIIIe et XIXe siècles () en sélectionnant cinq périodes (1696-1711, 1745-1755, 1782-1791, 1814-1825 et 1875-1885) pour lesquelles nous avons étudié tous les baptêmes et évalué s’il existait des liens de parenté qui unissaient l’enfant avec son parrain ou sa marraine.
Les liens de parenté sont ici définis en fonction de l’homonymie des patronymes entre parents spirituels et père et mère de l’enfant. Cet indicateur est couramment utilisé en l’absence de reconstitution générale des familles, du fait de sa facilité d’utilisation et parce qu’il permet des comparaisons dans le temps et dans l’espace (). C’est un indicateur fiable car il y a peu de chances que deux personnes portant le même nom et présents dans une même cérémonie de baptême n’aient aucun lien de parenté (spécialement en contexte urbain). Il reste néanmoins un indicateur d’approximation car il laisse, à l’évidence, de côté un certain nombre de personnes apparentées à l’enfant, en particulier au sein des branches maternelles du père et de la mère, ces individus ne portant a priori pas le même nom que les parents du baptisé. Les taux ici calculés sur la place de la parenté dans le parrainage constituent donc des minima. La Figure 1 montre clairement la croissance des choix à l’intérieur de la parenté même si le choix à l’extérieur de la famille reste fréquent à Charleville.
Nous sommes ensuite descendus à l’échelle des familles par le biais de l'étude de dix-neuf généalogies descendantes sur les XVIIIe et XIXe siècles. Nous en avons extrait, pour cet article, sept couples fondateurs, dont le patronyme à la première génération commence par B, et mariés au début de notre période, et des couples de leurs descendance féminine et masculine au XVIIIe siècle. Cinq couples fondateurs voient au moins un de leurs enfants se marier et fonder une famille à Charleville, tandis que deux autres ne sont observables que sur une seule génération (les Bertin et les Bodson de Noirefontaine). Nous avons intégralement reconstitué leurs parrainages et leurs familles, ce qui nous a permis de retrouver un grand nombre de liens de parenté des parrains et marraines qui auraient pu nous échapper, en particulier chez les cousins, les beaux-frères ou les belles-sœurs.
Certaines familles relèvent du milieu de l’artisanat. Pierre Bertin est ainsi serrurier à Charleville dans la première moitié du XVIIIe siècle. Il s’est marié deux fois, en 1732, puis en 1737, et son dernier enfant connu est baptisé en 1755. Les Bartaut forment, quant à eux, une grande famille de l’artisanat carolopolitain, avec quatorze couples mariés sur quatre générations à Charleville entre 1696 et 1789. Au XVIIIe siècle, dans la lignée descendante que nous allons présenter plus en détail, il y a deux générations de blanchisseurs et deux de plafonneurs. D’autres familles de notre petit corpus exercent des activités marchandes ou, plus généralement, oscillent entre artisanat et commerce. Les Bechefer sont une famille de marchands, en particulier dans la clouterie et dans la mégisserie. Ils comptent onze couples mariés sur trois générations à Charleville entre 1711 et 1792. Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, à la troisième génération, une branche des Bechefer est alliée à la famille Regnault, qui a fait partie de l’élite de la ville, en particulier avec Louis Philippe Regnault, marchand en 1791 et président du tribunal de commerce en 1813. Entre 1696 et 1792, les Berzet forment une famille de douze couples mariés sur cinq générations. Dans les trois premières générations se trouvent des couvreurs d’ardoises, un armurier (Théodore Frenay) et un faiseur de peignes. Mais la famille compte surtout deux générations de marchands, auxquels il faut ajouter un gendre marchand mercier (Charles Saucourt). À la cinquième génération, les filles de ce dernier épousent à leur tour un marchand ferblantier et un marchand cordier. Enfin, dans ce même milieu, les Bartholomé dit Lambert comprennent trois couples mariés et deux générations de fabricants d’armes entre 1745 et 1787. Fils d’un platineur et armurier, Mathieu Bartholomé était dit armurier dans les années 1740, fruitier en 1753, puis marchand dans les années 1760. Jean Joseph, son fils, était arquebusier à son mariage en 1787.
Notre sixième famille, les Bocquillon, dont trois générations se succèdent entre les années 1720 et 1792 et comptent en tout cinq couples mariés, appartient au début du XVIIIe siècle à un milieu social plus élevé que les précédentes. Xavier Léonard est garde des archives de la principauté de Charleville (entre 1720 et 1730), conseiller du comte de Condé (1723-1729) et trésorier des fortifications (1724-1729). Son père Jean était un marchand brasseur, profession dont les membres jouissaient d’une certaine aisance économique et pouvaient exercer des charges administratives (). Mais, par la suite, les fils de Xavier Léonard ont des métiers dans l’artisanat, rompant avec l’ascension sociale intergénérationnelle de la famille sans que nous puissions en déceler précisément la cause (Figure 4). Jean est faiseur de bas et Louis est tanneur. Le fils de Jean, prénommé Xavier Léonard comme son grand-père, devient armurier et un second fils, Louis Marie Étienne, est signalé comme tonnelier en 1826.
La dernière famille prise en compte, les Bodson de Noirefontaine, seigneurs de Gembes, appartient à la noblesse. Nous ne suivons qu’une seule génération, présente entre 1776 et 1788 à Charleville. Le père, Jean Georges Louis, exerce des fonctions de gouvernement ainsi que des charges militaires. D’abord capitaine de grenadiers au régiment d'infanterie étranger de Bouillon, il est dit gouverneur en survivance des villes et duché de Bouillon en 1777, et chevalier de Saint-Louis ainsi que lieutenant-colonel du régiment Royal suédois en 1785. En 1788, enfin, dans le dernier acte de baptême carolopolitain où il apparaît comme père, il est qualifié de lieutenant du Roi et commandant dans les villes et citadelle de Mézières et Charleville.
4. Choix du parrain et cultures familiales
Nous avons donc caractérisé les choix faits par ces sept familles en matière de parrainage entre 1696 et 1792 en examinant s’ils étaient internes ou externes à la parenté telle que nous l’avons repérée. La première conclusion est qu’elles ne mélangent pas les deux orientations. Même si aucune d’entre elles ne fait de choix en totalité à l’extérieur ou à l’intérieur de la famille, elles sont soit à forte orientation extérieure (parrainage «extensif», dans la terminologie anthropologique la plus habituelle, et qui aurait pour effet d’étendre le réseau social de la famille), soit à forte orientation interne (parrainage dit «intensif», car il renforcerait des liens déjà existants) (; ). Le serrurier Pierre Bertin et son épouse Jeanne Royère, mariés en 1737, font ainsi partie des couples qui ne font que rarement appel à des membres de leurs familles. Ils ne mobilisent, en effet, pour leurs dix enfants, nés entre 1738 et 1755, que quatre marraines issues de la famille de l'épouse (dont l’une sollicitée deux fois) ainsi qu’un parrain, Ponce Bartaut, qui parraine avec sa femme, également nommée Jeanne Royère, en 1753. Les quinze autres parrains et marraines sont extérieurs à la famille, alors même que les pères de Pierre Bertin et Jeanne Royère, entre autres parents, étaient bien vivants en 1737 et semblaient l’être encore les années suivantes (Table 2).
À l’autre extrémité du spectre, dans un milieu social tout aussi modeste, Nicolas Bartaut, plafonneur, et Catherine Laloyaux, qui ont eu douze enfants entre 1746 et 1766, ont fait appel à neuf parrains et à dix marraines homonymiques (Table 3), donc très identifiables, et il est aisé de reconstituer le lien de parenté à l'enfant pour une partie des parents spirituels restants. L’aîné, Ely Remy, est parrainé par ses grands-parents paternels, Ely Bartaut et Anne Ninnin (Figure 2). Le grand-père maternel, Nicolas Laloyaux, est également sollicité pour le septième enfant (et sixième garçon). C’est peut-être sa fille, Pieronne Laloyaux, tante de l’enfant, qui est à ses côtés sur les fonts. Jean-Baptiste Henon est l’époux de Marie Elizabeth Bartaut, qui est elle-même une cousine de Nicolas Bartaut. Au total, ce sont dix parrains et onze marraines qui appartiennent donc à la parenté du père ou de la mère, soit les neuf dixièmes des vingt-quatre parents spirituels choisis par le couple.
Au sein du groupe des familles faisant plus fréquemment appel à des parents que l’ensemble de l’échantillon, peuvent être singularisées des attitudes spécifiques. Certaines familles font davantage appel à des grands-parents, sans doute dans une perspective de mise en scène hiérarchique de la lignée (). Dans la famille des Bartholomé dit Lambert, le couple que forme Mathieu Bartholomé avec Marguerite Legrand a eu neuf enfants entre 1745 et 1760 (Table 4). Le grand-père, Lambert Bartholomé, est six fois parrain, dont deux en compagnie de sa femme, Bénigne Doyen. Les deux grands-parents forment donc, à eux seuls, pratiquement la moitié des dix-huit parrains et marraines de cette fratrie. Or, il n’y a pas pour cette famille de déficit de parenté, puisque trois autres parents paternels homonymes apparaissent parmi les parrains et marraines ainsi qu’une autre parente maternelle homonyme. Le choix de Lambert Bartholomé témoigne donc d’une orientation volontaire vers les grands-parents des enfants baptisés.
D’autres familles font plus appel à des oncles et tantes (). Dans la première moitié du siècle, deux frères, André Bechefer et Ambroise Bechefer, tous deux marchands mégissiers, se sollicitent mutuellement pour parrainer leurs enfants. André a treize enfants et Ambroise est appelé à parrainer sept d'entre eux (Table 5). Le grand-père maternel, Joseph Fossin, remplit la même mission à trois reprises. En tout, douze parrains sur treize possibles appartiennent à la famille. De même, au sein des treize marrainages envisageables, Catherine Peltrizot, la femme d’Ambroise et tante paternelle, est sollicitée à six reprises. Deux autres marraines sont les grands-mères des deux premiers enfants: Jeanne Deshaye et Poncette Adam. Finalement, onze marraines sur treize appartiennent à la parenté des enfants, et même à leur famille proche. En sens inverse, André est six fois parrain pour les seize enfants d’Ambroise. Thérèse Fossin, la femme d’André, est, quant à elle, marraine de quatre neveux ou nièces. Au sein de ces deux fratries de cousins, les oncles et tantes représentent donc une grande part des parents spirituels: au moins douze parrains et neuf marraines sur les vingt-neuf possibles des deux cas. Plus largement, vingt-six parrains et vingt-cinq marraines sont apparentés à leurs filleuls, soit la quasi-totalité (88%).
Enfin, on remarque que certaines familles préfèrent faire appel à des frères et sœurs des enfants baptisés, comme la famille noble des Bodson de Noirefontaine (). Jean Georges Louis Bodson de Noirefontaine et sa femme, Hippolite Nicolle Simonnard, ont eu sept enfants nés à Charleville entre 1776 et 1788 (Table 6). Six parrains et six marraines appartiennent à la parenté. Les trois derniers enfants sont parrainés par un frère ou une sœur. En 1784, Henriette Camille a pour parrain Camille Louis Gabriel, qui a alors huit ans. Ce dernier parraine ensuite Charles Louis, né en 1785. Enfin, la benjamine, Hippolite Louise Henriette, a pour marraine sa sœur, Henriette Camille, âgée de moins de quatre ans et, pour parrain, son cousin germain, Claude Louis Linotte de Poupehan. Il s’agit d’un cas exceptionnel, car, en général, les parrains enfants n’ont jamais moins de sept ans, conformément aux prescriptions synodales.
Il est donc clair qu’il y a dans certaines familles des habitudes qui se prennent et qui se répètent au fil des naissances. Le choix des grands-parents, des frères ou des sœurs des parents, des frères ou des sœurs des enfants renvoient à des visions de la famille qui sont propres au groupe considéré et qui ne se recoupent pas. Le choix des grands-parents exprime ainsi une conception verticale, voire hiérarchique, de la famille, alors que le choix des oncles et tantes de l'enfant, germains des parents, qui est, de nos jours, le premier choix en France et en Italie, est beaucoup plus horizontal (). La pierre de touche de l’existence d’une culture familiale du choix des parrains et des marraines reste cependant le passage à l’analyse transgénérationnelle: observe-t-on des familles qui, sur plusieurs générations, conservent la même orientation interne ou externe dans le choix des parrains et des marraines?
Nous avons évoqué plus haut le comportement de Nicolas Bartaut et de Catherine Laloyaux, qui font des choix orientés vers la parenté. Le sixième fils de ce couple, Nicolas Bartaut, s’est marié en 1783 à Jeanne Marie Bartaut, et ils ont eu cinq enfants nés entre 1784 et 1791. Sur les dix parrains et marraines, la majorité appartiennent à la parenté (Table 7). Le grand-père maternel (Jean-Louis Bartaut) et la grand-mère maternelle (Jeanne Colin) apparaissent deux fois chacun. Seules deux marraines ne semblent pas apparentées: Jeanne Marguerite Gautier et Jeanne Renaux. Ce couple est particulièrement intéressant pour notre analyse car il est formé de deux cousins éloignés, dont le mariage, en 1783, a nécessité une dispense de consanguinité du troisième au quatrième degré (fig. 2). Du côté maternel, le parrainage des enfants de Jean Louis Bartaut et Jeanne Colin était tourné vers la famille, mais davantage pour les parrains que pour les marraines (Table 8): un parrain sur cinq et quatre marraines sur cinq n’étaient pas homonymes.
Ainsi, la pratique du parrainage familial a été transmise par les branches maternelle et paternelle, mais le couple de Nicolas Bartaut et Jeanne Marie Bartaut semble avoir été plus influencé par la branche paternelle pour un choix familial plus exclusif.
Une autre famille peut illustrer le choix d’une même pratique de parrainage sur plusieurs générations. Le fils de Xavier Léonard Bocquillon et Marguerite Modaine, Jean Bocquillon, se marie avec Marguerite Antoinette Ninnin le 9 février 1763 (Figure 3). Ils ont neuf enfants jusqu’en 1775, année du décès de Marguerite Antoinette (Table 9). Jean est qualifié de faiseur de bas en 1784, dans l’acte de sépulture d’un de ses enfants. Le premier enfant de Jean Bocquillon est parrainé par son grand-père et sa grand-mère paternels. Les aïeuls maternels, Jean Baptiste Ninnin et Marie Hulot, parrainent, eux, les deuxième et quatrième enfants. Par la suite, Jean mobilise à quatre reprises ses deux frères: Jean Baptiste Remy et Louis Dieudonné Robert Bocquillon. Ce dernier parraine avec sa première femme, Marie Elizabeth Fossé, puis sa seconde femme, Marie Anne Richard. Deux parrains, Louis Ninnin et Louis Hulot, et une marraine, Marie Barbe Hulot, sont de la famille maternelle. Au final, seules deux marraines ne sont pas apparentées: Charlotte Dentremeuze et Marie Poncelet. Jean Baptiste Remy, l’autre frère de Jean Bocquillon, s’est aussi marié en 1778 à Marie Molle et a eu un enfant en 1779. Le parrain et la marraine sont Louis Dieudonné Robert et sa femme Marie Anne Richard. En février 1789, Xavier Léonard Bocquillon, le fils aîné de Jean, devenu armurier, se marie avec Anne Demoulins. Deux enfants naissent en 1789 et 1791. Le premier est une fille qui a pour parents spirituels son grand-père paternel et une tante. En 1791, naît une seconde fille qui reçoit pour parrain un Jean Bocquillon, dont le lien de parenté à l’enfant est difficile à déterminer du fait de la présence d’homonymes, et pour marraine une femme non homonyme. Dans cette famille de milieu social plutôt élevé au début du siècle, l’usage était donc de choisir les parrains essentiellement dans la famille et il a été respecté par les frères Bocquillon et, à la génération suivante, au moins par un des fils de Jean.
Enfin, les Berzet forment une famille qui, sur plusieurs générations, reste fidèle à un choix de parrains et marraines non apparentés (Figure 4).
Jacques Berzet, faiseur de peignes et marchand, et sa femme Marie Jeanne Morel ont quinze enfants entre 1738 et 1758 (Table 10). Sur quinze parrains, quatre seulement semblent liés par le sang ou par l’alliance à leurs filleuls. Deux seulement sont des Berzet, Gilles, le père de Jacques, ainsi que Jean, tandis que les deux autres, Louis Morel et Charles Saucourt, époux de Marie Jeanne Berzet, fille aînée de Jacques, née en 1738, sont des alliés. Les cinq marraines apparentées sont toutes nommées Marie Jeanne Berzet. Pour le premier enfant, une fille, il s'agit d’une grande tante. Pour les quatre autres enfants qui ont une Marie Jeanne pour marraine, il est difficile de savoir s’il s’agit de cette grande tante ou de la fille aînée de Jacques, qui a reçu les prénoms de sa marraine. Néanmoins, au dernier marrainage de la fratrie en 1758, il est très probable que ce soit la sœur aînée, car le parrain est Charles Saucourt, son mari. À la génération suivante, un des fils du couple, Louis, marié à Jeanne Joseph Félicité Postiaux, lui aussi marchand et faiseur de peignes, choisit également les parrains et marraines de ses huit enfants majoritairement hors de la parenté (Table 11). Jacques, le père de Louis, parraine le premier enfant avec Marie Jeanne Morel, sa femme. Charles Saucourt, son beau-frère, est ensuite sollicité, de même que Jacques Simon Jadot, époux d’Anne Berzet, qui est la sœur aînée de Louis et qui est deux fois marraine. Pour autant, sur un total de vingt-trois parrains cumulés pour ces deux générations, quatorze ne sont pas apparentés (61%) et, du côté des marraines, quinze sur vingt-trois ne le sont pas non plus (65%). Or, cette pratique de parrainage est ancienne dans la famille: Jacques Berzet, maître-couvreur d’ardoises, et Marie Poncette Pérate, grands-parents de Jacques et arrière-grands-parents de Louis, avaient, eux aussi, choisi des parrains et des marraines presque toujours en dehors de la famille pour leurs six enfants nés entre 1696 et 1705 (Table 12). Sur six parrains, seuls deux étaient apparentés aux baptisés: Pierre (qui parrainait avec son épouse) et Gilles, fils de Jacques. Sur six marraines, une seule était homonyme: Jeanne, la sœur de Jacques. Dans cette famille, il semble donc que, pendant tout le XVIIIe siècle, la pratique de choisir plutôt les parrains en dehors de la famille a perduré de façon majoritaire alors même que le choix du parrain dans la parenté proche ou «visible» se répandait dans la société carolopolitaine. Ce n'est que dans les années 1780, à la dernière génération analysée, qu’apparait une réorientation vers un parrainage interne chez les filles de Charles Saucourt, Marie Nicole, mariée en 1785 avec Nicolas Wahart, marchand cordier et Anne, mariée en 1789 avec Mathieu Lallement, ferblantier. Nous n’avons retrouvé que le baptême d’un enfant pour chacun des couples en 1787 et 1791 mais, à chaque fois, le parrain est le grand-père Charles Saucourt et la marraine, la grand-mère Marie Jeanne Berzet. Il est difficile d’aller plus loin en l’absence d’autres parrainages, mais il est possible que ce changement de tendance vienne de la famille de Charles Saucourt, même si le choix de faire parrainer un enfant par un grand-père avait déjà été fait par Jacques Berzet.
Pour rendre compte de l’utilisation du parrainage au sein de la famille ou en dehors (; ; ; ), les travaux de référence évoquent souvent en guise de première explication, la durée de la présence sur le lieu observé, qui semble devoir déterminer la densité du réseau familial de proximité. Les familles étudiées qui sont présentes sur au moins deux générations, c’est-à-dire les Bartaut, les Berzet, les Bocquillon, les Bechefer et les Bartholomé, peuvent être ainsi considérées comme «sédentaires» par rapport à une population urbaine qui croît et se renouvelle en grande partie au cours du XVIIIe siècle. Et, pour elles, le réseau familial devrait former un vivier facile à solliciter dans le délai très court qui sépare, dans la France de l'époque, la naissance du baptême. Or, la comparaison des familles Berzet et Bartaut, qui appartiennent à un milieu social comparable et qui comptent, toutes les deux, un grand nombre de couples mariés dans la ville sur au moins quatre générations, montre que les premiers mobilisent en majorité des personnes hors de la famille tandis que les seconds privilégient nettement le parrainage intrafamilial. Le choix des parents spirituels peut donc obéir à des logiques plus complexes que la plus ou moins grande disponibilité de la parenté au lieu de naissance de l’enfant.
Un deuxième facteur explicatif serait le nombre d’enfants du couple, qui amènerait presque mécaniquement à une variation des stratégies au fur et à mesure des naissances, leur nombre croissant ouvrant la voie à de nouvelles possibilités et donc, souvent, à une ouverture des parrainages. Or, les exemples présentés ici suggèrent qu’il y a une certaine exclusivité des logiques pour une même fratrie, y compris lorsque le nombre d’enfants est élevé. En outre, il convient de se méfier de la représentation des fratries dans les tableaux précédents car elle ne reflète pas la réalité de l’évolution de leur composition au cours des années et occulte la question des enfants morts en bas âge. Quand un enfant meurt, le parrainage de l’enfant suivant peut, en effet, faire rejouer les mêmes parrains ou des parrains différents.
Une troisième piste, qui a été jusqu’à présent peu explorée, pourrait être celle d’un choix d’un parrainage interne ou externe en lien avec le sexe de l’enfant. Elle peut être testée avec les trois familles les plus orientées vers le parrainage familial. En additionnant les différentes fratries présentées plus haut, les Bartaut, les Bartholomé et les Bechefer comptent au total 62 enfants, dont 29 filles et 33 garçons. La parenté des parrains et marraines avec leurs filleuls a été le plus souvent déterminée à partir de l’homonymie directe ou de l’homonymie indirecte. Pour ce qui concerne les 29 filles baptisées, 28 parrains et 20 marraines leurs sont apparentés, soit 83% de l’ensemble (48/58). Du côté des 33 garçons, les effectifs sont respectivement de 24 parrains et 27 marraines, soit un total de 77% (51/66). Il apparaît que les garçons reçoivent un peu moins de parents spirituels issus de leur famille que les filles, mais sans que les proportions soient très divergentes. Le sexe de l’enfant n’est donc pas une variable discriminante dans les exemples que nous avons développés, sans doute parce que, dans la plupart des cas, la désignation des parents spirituels se faisait avant de connaître le sexe du nouveau-né rapidement baptisé, comme l’a suggéré Guido Alfani pour l’Italie du Nord à l’époque moderne (). Ces variables d’explication ont chacune leur pertinence, plus ou moins élevée, et se croisent vraisemblablement dans la plupart des cas. Cependant, la reproduction de certains comportements, soit horizontalement dans une fratrie ou un cousinage, soit verticalement d’une génération à l’autre, semble prouver que peut jouer aussi une véritable acculturation familiale: les individus tendent à perpétuer pour le choix du parrain ou de la marraine de leurs enfants ce qui se pratique ordinairement dans leur famille. Et cette observation rejoint celles faites, dans d’autres contextes historiques et sur d’autres objets, par Mathieu Marraud, Paul-André Rosental, Sandro Guzzi-Heeb, Aline Johner ou encore Michaël Gasperoni, évoqués dans notre première partie.
Et il est possible que bien d’autres comportements démographiques, qui sont généralement interprétés par rapport à un ensemble de variables géographiques, sociales, ou juridiques, puissent être influencés par la culture familiale des acteurs. Il serait donc intéressant d’introduire cette variable dans l’étude d’une grande partie des actes sociaux accomplis par les Français ou les Françaises de l’époque moderne et des premières décennies du XIXe siècle. Une relecture des modes de prénomination, de l’acquisition de la lecture et de l’écriture, de l’affirmation des vocations religieuses ( et ; ; ) pourrait, entre autres, permettent de mesurer les connexions, ou les déconnexions, entre les comportements sociaux des individus, pris au sein de leur famille, par rapport aux groupes socio-économiques auxquels ils, et elles, peuvent être reliés. Et, au-delà, il est possible que des actions sociales aussi fondamentales que la transmission d’une profession, le choix d’un conjoint, ou la volonté de respecter ou de déroger aux règles successorales en vigueur dans son lieu de résidence, puissent également être l’objet d’une telle réinterprétation qui fait de la famille non plus simplement le cadre dans lequel ces choix se font mais un acteur clef de la construction de ces choix et, partant, des différenciations sociales qui en découlent.
5. Conclusion
À l’origine de cette étude se trouve le souhait de mieux comprendre les mobilités sociales des individus et des familles et de ne pas les attribuer, soit au hasard ou à la conjoncture, soit à des stratégies rationnelles portées sur le long terme par des acteurs capables de faire de bons, ou de mauvais, choix, soit, enfin, à un simple déterminisme socioéconomique appuyé sur le jeu de contraintes sociales externes. Aucun de ces éléments ne nous paraît devoir être écarté de la recherche historique sur les mobilités ascendantes ou descendantes, mais nous estimons qu’une autre variable doit être ajoutée à l’analyse. Les comportements propres à chaque famille, dont nous avançons qu’ils peuvent se constituer en une culture singulière et transmissible, doivent, en effet, être articulés avec la conjoncture, ou l’imprévisible (), avec les stratégies et avec les contraintes sociales pour rendre compte pleinement des trajectoires sociales des individus. Cette culture, intériorisée par ses acteurs, dessine, plus ou moins «naturellement» pour eux, des chemins qu’ils peuvent emprunter, qui s’inscrivent dans le cadre de la communauté sociale à laquelle ces familles appartiennent, ainsi que de systèmes plus larges de contraintes normatives ou pratiques tout en leur permettant de s’en écarter.
La quatrième partie de ce travail a ainsi prouvé, qu’il était possible de mettre en évidence l’existence de choix sociodémographiques, ici le choix du parrain et de la marraine à l’intérieur ou à l’extérieur de la parenté, transcendant les différentes strates de la société d’Ancien Régime et faisant de la famille, non un reflet cristallin de ces strates, ou de ces classes, mais bien le creuset de comportements sociaux différenciés. Nous avons utilisé pour cela un terrain situé dans la France du Nord, au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, ce qui pose, par ailleurs, les problèmes, d’abord, d’une extension de notre étude à d’autres régions françaises prises dans des systèmes politiques, juridiques, sociaux, religieux et familiaux différents et, ensuite, de la prise en compte des transformations radicales survenues, par exemple, au moment de la Révolution française.
Il est certes difficile d’apprécier, à ce stade de l’enquête, la profondeur réelle de cette culture familiale. La question de savoir si et comment des comportements démographiques ou sociaux distincts peuvent faire système —une «culture» proprement dite— et sont capables de construire des éléments de différenciations sociales porteurs ou non de réussites ou d’échec qui singularisent des familles données par rapport à la moyenne des familles de leur groupe, reste ouverte. Les travaux de certains sociologues ou psychologues sur la société contemporaine pointent bien l’existence d’une telle culture et montrent qu’elle est très intégratrice dans le groupe familial mais qu’elle est aussi susceptible d’évoluer radicalement, avec facilité ou pas, sous l’effet d’une rupture ou au contact d’autres cultures familiales. Dans une certaine mesure, le mariage entraîne mécaniquement la confrontation entre deux «cultures» familiales et un ensemble de recomposition ayant des effets à la fois dans la vie ordinaire et dans le mouvement général de la famille ().
L’étude des pratiques de parrainage, choisies dans cet article comme terrain d’enquête, dans une démarche de preuve de concept, est, en ce sens, exemplaire car elles peuvent évoluer au gré des alliances matrimoniales entre familles ayant des pratiques différentes, qui se renforcent ou qui se contredisent. L’inévitable loterie démographique des temps pré-pasteuriens rappelle également que la durée est la condition même de la formation d’une culture familiale. C’est donc une détermination de l’individu qui est à la fois forte et fragile. Mais elle joue un rôle multiple dans les évolutions de l’ensemble de la société. La médiatisation par la famille de ces évolutions est, en effet, loin d’être «neutre» ou de se réduire à un simple vecteur des identités de classe ou de statut social. Elles sont un élément fondamental à prendre en compte à l’articulation si complexe de l’individu et de la société. Les familles, aussi bien à l’époque moderne que de nos jours, sont des acteurs sociaux à part entière qui ne sont pas simplement agis par les dynamiques sociales générales mais qui les créent, les médiatisent, et les renvoient transformées vers la société.
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Notas
[1] Plusieurs versions de cet article ont été présentées lors de colloques ou de séminaires, en particulier « Parcours individuels, cultures familiales et diversité sociale. L’exemple de Charleville (France, XVIIIe siècle) », Xe congrès de Asociación de Demografía Histórica (ADEH), Albacete (Espagne), 19 juin 2013; «The familial culture in early modern France: a proposal», colloque Is Britain a part of France ?, organisé par Lawrence Goldman, Emmanuelle De Champs, Stéphane Jettot et Frédérique Lachaud, Institute of Historical Research, 17-18 mars 2016; «Les cultures familiales dans la France pré-industrielle», séminaire Société et pouvoir à l’époque moderne, EHESS, organisé par Fanny Cosandey, Robert Descimon, Elie Haddad, et Mathieu Marraud, 2 juin 2017; enfin, «Les cultures familiales», Université Paris-Sorbonne (maintenant Faculté des Lettres, Sorbonne Université), Séminaire d’histoire de la famille et de la démographie, 19 octobre 2018. Les auteurs remercient les participants de ces différents évènements, les membres de l’axe 1 du Centre Roland Mousnier, en particulier Michaël Gasperoni, ainsi que Jean-François Mignot et Sandrine Lefranc, pour l’aide précieuse qu’ils et elles ont apportée aux diverses étapes de l’élaboration de ce texte. Nous remercions également les lecteurs sollicités anonymement par la revue pour l’intérêt de leurs analyses.
[2] Ce n’est que plus tard que l’étude des valeurs des groupes sociaux ou des groupes professionnels a pris une importance croissante (; ).
[3] Laurence Fontaine et Jurgen Schlumbohm ont rappelé la généalogie de l’utilisation du concept de stratégie et les étapes décisives qu’ont été le passage par le vocabulaire économique, et enfin, par celui de la sociologie ().
[4] se sont appuyés sur le mariage entre parents, en particulier entre cousins germains mais aussi entre paires de frères ou de sœurs, pour avancer l’idée que le XIXe siècle a été une période beaucoup plus tournée vers la famille que vers l’individu. Ce modèle interprétatif du XIXe siècle comme «kinship hot society» a été repris, depuis lors, dans de nombreuses études comme, par exemple, Bras, Van Poppel, Mandemakers, 2009.
[6] Nous nous appuyons ici sur la définition donnée par Clifford Geertz de la notion de culture comme «the fabric of meaning in terms of which human beings interpret their experience and guide their action». Il relie au sein d’un même «completely concrete system of social action», les trois dimensions que nous abordons ici: le système social; le système de personnalité des acteurs individuels; et le système culturel ().
[7] S’il apparaît parfois, le terme a été rarement mis en avant en histoire jusqu’à présent. André Burguière est une exception mais il l’emploie plutôt dans le sens d’un système familial global, comme la famille communautaire, la famille-souche ou la famille égalitaire ().
[8] Nous ne pensons naturellement pas ces cultures familiales en opposition avec les cultures de groupe telles qu’elles ont pu être isolées, par exemple pour la bourgeoisie du XIXe siècle (Le Wita, 1988), la noblesse du XXe siècle (), ou la noblesse d’Ancien Régime (; ).
[9] Les deux visions étaient présentes dès le colloque fondateur qui a été tenu en 1969 à Cambridge où elles ont été incarnées par Peter Laslett et Jack Goody. Les discussions de ce colloque ont été relayés en France (). .
[10] Parmi les autres indicateurs démographiques qu’il serait possible d’analyser, mentionnons l’âge au mariage, les conceptions prénuptiales ou encore les naissances illégitimes.
[11] Une quittance de 1787 marque un lien entre des individus dont le degré de parenté remonte à un ancêtre commun mort en 1636 ().
[12] La volonté de certaines familles de la marchandise, du négoce ou de la finance de rester ancrées, génération après génération, dans ces mêmes milieux a été aussi illustrée par et .
[13] Reuben Hill emploie l’expression de «culture familiale» dans la présentation de sa méthodologie du suivi de trois générations: «with this device we could hold constant the family culture over time and note differences family line by family line in each of the dimensions of family structure and functioning under study» (). Voir également .
[14] Reuben Hill a utilisé la même méthode d’analyse en 1958, avec Nelson Foote, sur environ 300 familles de Minneapolis et de St. Paul dans le Minnesota, pour savoir si la planification familiale et le processus de prise de décision à cet égard faisaient partie d’une culture transmise au fil des générations (Hill, , ).
[15] Voir, par exemple, , qui évoquent une « culture familiale féminine » (p. 91, p. 153) ainsi qu’une «culture familiale militante» (p. 344).
[16] «Les familles sont des corps (corporate bodies) animés d’une sorte de conatus, au sens de Spinoza, c’est-à-dire d’une tendance à perpétuer leur être social, avec tous ses pouvoirs et ses privilèges, qui est au principe des stratégies de reproduction, stratégies de fécondité, stratégies matrimoniales, stratégies successorales, stratégies économiques et enfin et surtout stratégies éducatives» ().
[17] «Même quand il apparaît imposé par la force de la ‘vocation’ ou par le constat de l’inaptitude, tout acte de choix singulier par lequel un enfant s’exclut de l’accès à un cycle d’enseignement ou se résigne à la relégation dans un type d’études dévalorisé prend en compte l’ensemble des relations objectives (qui préexistaient à ce choix et qui lui survivront) entre sa classe sociale et le système d’enseignement, puisqu’un avenir scolaire n’est plus ou moins probable pour un individu donné que dans la mesure où il constitue l’avenir objectif et collectif de sa classe ou de sa catégorie» ().
[18] Voir ; Bernard Lahire appelle à dépasser les «deux grands cas de figure en matière de configuration des patrimoines de dispositions individuels […] celui de la cohérence et de l’homogénéité dispositionnelle […] celui de la contradiction dispositionnelle, propre à ceux qui ont vécu une grande mobilité sociale au cours de leur vie («les transfuges de classe»)» ().
[19] Pierre Bourdieu, dans «L’esprit de famille», définit la famille comme un artefact social, soumis à un «travail symbolique et pratique» destiné «à doter chacun des membres de la famille d’un ‘esprit de famille’ générateur de dévouements, de générosités, de solidarités» (). Ce travail lui donne la possibilité d’agir comme «un sujet collectif» dont les membres peuvent, dans certaines circonstances, être «tenus d’agir en tant que parties d’un corps uni» ().
[20] En 1786, l’Almanach général des marchands, négociants et armateurs de la France, de l’Europe et des autres parties du monde, publié à Paris, note pour Charleville, au titre de l’«industrie qui forme la meilleure branche du commerce», la manufacture d'armes à feu; les fabriques de clous, d’ouvrages de marbre, de bas de laine, de peignes, & autres ouvrages de corne; ainsi que la tannerie et la brasserie.
[21] La situation économique des premières décennies du XIXe siècle a été bien plus contrastée que la seconde moitié du XVIIIe siècle avec le déclin puis la fermeture de la manufacture d’armes. L’activité, soutenue par de nouveaux secteurs, comme la brosserie ou la verrerie, et par de nouveaux modes de production au sein de la métallurgie, a cependant repris à partir du milieu du siècle ().
[22] En 1696-1711, 52% des paires de parrain-marraine observées dans l’échantillon de population sont des couples mariés. Ni les actes du Concile de Reims de 1581, ni le Rituel de Reims de 1677 ne mentionnent l’interdiction du mariage entre le parrain et la marraine ().
[23] Registres paroissiaux de Saint-Rémi de Charleville: Archives Départementales des Ardennes [AD08], EDEPOT/CHARLEVILLE, GG 11 à 80 (1696-1789); AD08, EDEPOT/CHARLEVILLE, 2E 455 à 2E 457 (1790-1792).
[24] Registres de catholicité de Saint-Rémi de Charleville: AD08, 50J 2 (1814-1819), 50J 3 (1820-1825); 50J 12 (1876-1880); 50J 13 (1881-1885).
[25] Dénombrements du XVIIIe siècle: AD08, EDEPOT/CHARLEVILLE, BB23 (1705-1713), BB27-33 (1733-1739), BB38-BB41 (1747-1750), BB82 (1789). Recensements du XIXe siècle: AD08, EDEPOT/CHARLEVILLE, 1F83-1F86 (1821), 1F102-1F103 (1830), 1F138-1F142 (1856), 1F143-1F147 (1857), 1F148-1F152 (1858), 1F193-1F197 (1867) et enfin, 1F222 et 1F224 (1873).
[26] À l’homonymie patronymique, ou «directe», a été ajoutée, dans la figure 1, l’homonymie «indirecte» qui consiste à prendre en compte les marraines ou les parrains non homonymiques mais qui sont indiqués dans l'acte comme époux (ou veuves) d’une personne homonyme du père ou de la mère de l'enfant baptisé. L’échantillon de 1696-1711 était le plus riche en informations sur les liens entre parrains et marraines. Pour la définition des indicateurs, voir .
[27] Le pourcentage de parrains et marraines homonymes des parents du baptisé fournit une évaluation minimale de la part des choix de parrainage dans la parenté. Il est difficile de donner une estimation précise de la part des parrains homonymes au sein des parrains apparentés à l'enfant, car cela dépend du contexte social analysé mais aussi de la définition même des limites de la parenté qui ont été retenues par le chercheur (par exemple en termes de degré d’éloignement). Néanmoins, quelques études plus précises ont permis de considérer que la part du parrainage intra-familial représentait entre 1,3 et 1,6 fois celle du parrainage homonymique «direct» ().
[28] Le choix du patronyme en B a été motivé par l’existence d’une base de données démographique construite à partir des dénombrements par l’enquête «Charleville» menée entre 2007 et 2011 dans le cadre du projet de l’Agence Nationale de la Recherche ANR-06-CORP-0005: Mobilités, populations, familles dans la France du Nord de la fin du XVIIe siècle à la fin du XIXe siècle (2007-2011), dirigé par François-Joseph Ruggiu, et qui a associé l’Université de Bordeaux 3, l’Université Paris-Sorbonne et l’Université de Picardie Jules Verne. La base de données a été élaborée par Carole Rathier (ANR, Université de Bordeaux 3) à partir du programme Fichoz, créé par Jean-Pierre Dedieu (CNRS) et elle a été renseignée, entre autres, par Carole Rathier, Eloïse Darracq et Yves Perret-Gentil. La reconstruction des généalogies, réalisée à partir des actes de baptême, mariage et décès des registres paroissiaux entre 1696 et 1790, a ainsi pu s'adosser sur cette base de données d'individus qui s'est donc concentrée sur un échantillon d'individus dont le patronyme commence par B, soit environ un dixième de la population.
[29] Nous n’avons cependant pas cherché à reconstituer tous les liens de parenté entre les individus ne portant pas un patronyme en B résidant à Charleville.
[30] Jean Georges Louis Bodson de Noirefontaine est ainsi désigné dans les actes de baptême de ses enfants en 1777, mais aussi en 1784 et en 1785 (AD des Ardennes, GG 68, 75 et 76).
[31] Il y a dix parrains en tout qui portent le nom d’André Bechefer, mais, comme le troisième fils d’Ambroise a été aussi appelé André, il est possible que ce soit lui et non l’oncle qui ait été sollicité pour les derniers enfants de la fratrie. Dans cinq cas, l’explicitation du lien de parenté avec l’enfant baptisé nous permet d’identifier avec certitude l’oncle André.
[32] Un enfant, né en 1778, a des parrains inconnus, car nous ne connaissons que son acte de sépulture. Il n’est pas compté parmi les huit mentionnés ici.
[33] Mais nous avons pu, à l’occasion, aussi identifier un parent de l’enfant grâce à un lien de famille explicitement mentionné dans l’acte de baptême et qui reliait un des deux parents spirituels à l’autre, déjà connu pour être apparenté à l’enfant.
[34] L’étude de la transmission des professions au sein des familles sous l’Ancien Régime a été un grand classique des travaux d’histoire sociale, surtout urbaines, dans les années 1980 et 1990, et elle a suscité des débats scientifiques animés. La question a un peu perdu de son acuité par la suite mais elle continue à être étudiée (; , ).
[35] Le choix du conjoint à l’époque moderne et au XIXe siècle est un sujet sur lequel la littérature historique est abondante. Elle est souvent abordée sous l’angle de stratégies sociales explicites, fondées, en particulier, sur la volonté de conclure des alliances au sein d’une même activité socioprofessionnelle, ou bien d’activités socioprofessionnelles complémentaires. D’autres historiens évoquent le rôle de règles matrimoniales implicites. , met ainsi en avant, à partir d’un ensemble de familles, l’existence d’un choix privilégié, dans la durée, des conjoints et conjointes parmi les alliés de consanguins ou les alliés d’alliés.
[36] La bibliographie s’est longtemps attachée à analyser les systèmes successoraux et à postuler la compliance envers eux des individus et des familles. L’historiographie actuelle est beaucoup plus attentive à mettre en valeur les écarts par rapport à ces règles, les stratégies de contournement ou encore les évolutions à contre-sens des tendances générales. , les relie à la discipline familiale qu’il a identifiée au sein de la parentèle qu’il étudie.